Un article d’opinion par Jean-Pierre Cabrol Avocat à Toulouse.

Adoptée en catimini, presque sans débat, la loi Duplomb s’impose comme l’un des textes les plus inquiétants du quinquennat en matière agricole. Derrière les apparences d’un « bon sens rural » défensif, se cache une offensive bien coordonnée : le retour déguisé des pesticides interdits, la criminalisation des opposants, et la mise sous cloche du débat public. Qui est Jean-Pierre Duplomb, et pour qui travaille-t-il vraiment ? Jean-Pierre Duplomb est sénateur Les Républicains de Haute-Loire. Discret dans les médias, il s’est fait le porte-voix d’un monde agricole en tension. Mais le contenu de sa loi révèle une tout autre orientation : il ne défend pas les paysans, il sécurise l’agro-industrie. Derrière lui, les lobbies de l’agrochimie, les coopératives puissantes, et une vision dépassée de l’agriculture productiviste tirent les ficelles.

Un texte sous anesthésie médiatique… et sous influence

La loi a été adoptée rapidement, sans mobilisation citoyenne majeure, ni dans la presse, ni au Parlement. Pourquoi ?

  1. Une stratégie de victimisation bien huilée : l’image du « paysan harcelé par les écolos radicaux » a servi de justification à tout. En instrumentalisant quelques cas isolés d’intrusion ou de pression militante, les auteurs du texte ont pu faire passer une loi de répression pour une loi de protection.
  2. Une alliance politique implicite : si le texte est porté par la droite sénatoriale, il a été soutenu activement par la majorité présidentielle, séduite par le discours sécuritaire et soucieuse de calmer une base agricole mécontente. La FNSEA n’était pas loin non plus.
  3. Des contre-pouvoirs affaiblis : ONG écologistes mises sur la défensive, journalistes spécialisés sous pression, opinion publique absorbée par d’autres sujets… L’espace démocratique était désarmé.

Le retour légal des pesticides interdits

Le cœur le plus toxique de cette loi ? Il se cache dans l’article sur les dérogations phytosanitaires. Concrètement, cela signifie que des substances interdites — parfois pour leur dangerosité avérée (cancérogènes, perturbateurs endocriniens) — pourront être réautorisées si une filière estime qu’elle n’a pas d’alternative immédiate. C’est une attaque en règle contre le principe de précaution, et un recul sanitaire majeur pour les agriculteurs eux-mêmes premiers exposés, les consommateurs, et l’environnement. Autrement dit : on préfère empoisonner « raisonnablement » que changer de modèle.

Une loi qui sert les puissants, pas les paysans

Ce texte n’apporte aucune réponse aux vrais problèmes du monde agricole : effondrement des prix, endettement structurel, disparition des fermes, stress et surmenage, épuisement et suicides. Il ne dit rien non plus des zones blanches alimentaires, de l’accès au foncier, ou de la relocalisation de l’alimentation. Au contraire, il protège juridiquement les exploitations industrielles, ferme la porte à la critique. Il vient renforcer un modèle agricole dépendant, à bout de souffle, au lieu d’aider les jeunes agriculteurs qui veulent s’en affranchir.

Et les écolos dans tout ça ?

Soyons clairs. Certaines actions militantes spectaculaires ou radicales ont contribué à tendre le climat : intrusions dans des élevages, blocages médiatiques, slogans simplistes. Mais ces dérapages restent marginaux. La loi Duplomb, elle, en a profité pour jeter le discrédit sur l’ensemble des mouvements écologistes, même les plus modérés, même ceux qui, dans les territoires, travaillent de concert avec des agriculteurs pour inventer autre chose. Une fracture dangereuse entre le monde agricole et la société Cette loi creuse le fossé. Elle alimente l’idée fausse selon laquelle on ne pourrait plus rien dire sur l’agriculture sans être « anti-paysan ». Or, poser des questions sur les pratiques, alerter sur les risques, débattre d’un modèle : c’est exactement ce que permet une démocratie vivante. Avec la loi Duplomb, ce débat devient risqué, encadré, verrouillé.

Conclusion : une loi du passé, emballée dans du « bon sens », servie chaude aux lobbies

La loi Duplomb n’a rien d’un progrès. C’est un texte de repli, d’arrière-garde, fait pour rassurer ceux qui ont peur de changer, pas pour accompagner ceux qui innovent déjà sur le terrain. Elle s’adresse aux puissants qui tiennent les clés de l’agro-industrie. Elle prétend défendre les agriculteurs, mais elle oublie ceux qui se battent pour sortir des pesticides, retrouver leur autonomie, leur indépendance aussi, et nourrir leur territoire autrement. Elle parle de respect, mais elle impose le silence. Elle brandit le bon sens rural, mais sent surtout le lobby bien organisé. Bref, la loi Duplomb, c’est un peu comme un champ arrosé au glyphosate : ça a l’air propre et net à première vue, mais ça appauvrit tout sur son passage. La démocratie, les sols, le débat, l’avenir. On aurait aimé un texte pour penser l’après, relancer le dialogue, soutenir ceux qui ont de vrais idées et initiatives. Un texte qui protège les paysans. Il y a des réformes utiles. Et il y a des reculs bien habillés. La loi Duplomb coche toutes les cases de la deuxième catégorie.

Jean-Pierre Cabrol, avocat à Toulouse